Je regarde par le vitre. Devant moi, sous le soleil brûlant,
s’étale la place Powstańców. Nous prenons notre temps. Assis autour d'une
petite table, devant nos tasses de chocolat chaud, nous contemplons
l'intérieur. Certes, il a changé plusieurs fois depuis la création du salon il
y a 140 ans, mais garde toujours l'ambiance du vieux Varsovie de mes
grands-parents. Et reste le témoin de l'histoire continue de l'usine de
chocolat la plus ancienne en Pologne. Celle de WEDEL.
L'histoire de la branche polonaise de la famille allemande
Vedel commence vers le milieux du XIX siècle. Nous sommes en 1845. Ça fait
juste un an que les trains arrivent à la Gare de chemin de fer de Varsovie situé au carrefour
de la rue Marszałkowska et Aleje Jerozolimskie. Mais comme il n'y a qu'une
seule ligne, celle reliant Varsovie avec Vienne, nous devons chercher Karol
Ernst Vedel plutôt à la station des diligences, car le fondateur de la dynastie
est arrivé du Berlin. Invité par Karol Grohnert, propriétaire d'une pâtisserie
rue Piwna, à la Vieille
Ville , il aura travaillé pour lui 6 ans, avant d'ouvrir son
propre atelier de production de chocolat et magasin dans l'hôtel Chodkiewicz,
au 484 rue Miodowa (no 14 actuel). Ayant acquis son expérience en tant que
pâtissier à Berlin, Londres et Paris, Karol conquit vite le public de Varsovie.
Au début il commence par des sucreries typiques qu'on pouvait trouver dans
d'autres salons et magasins de la ville. Ensuite il lance des bonbons et
sirop... contre la toux. Pâtissier – pharmacien? À cette époque tout est
possible. Mais très vite il s'oriente vers le produit qui est devenu le symbole
de la firme: le chocolat. À commencer par le chocolat chaud:
« Brillant » et « Dessert ». Forcément bon si on en vendait
dans son salon jusqu'à 500 tasses par jour. Puis divers produits en chocolat à
croquer. En 1862 les annonces publicitaires vantaient les qualités du « chocolat
praline à la crème aux nougats, aux pistaches, napolitain, de demes, à la
vanille, royal, à la sultan » ou des « prunelles glacés - reinglouds
glacés et fruits cristallisés».
Sa notoriété fut si grande que l'on a même commencé à
falsifier ses produits. Ce qui l'a emmené à donner une annonce dans la presse
polonaise où il expliquait que seuls les produits marqués de sa signature
personnelle étaient sortis de son usine. La contrefaçon n'est pas l'invention de nos jours.
Emil, le fils de Karol, rejoint son père en 1864, mais ne
devient le propriétaire de l'atelier qu'en 1872, l 'année de son
mariage avec Eugenia Böhm. Que ces noms allemands ne vous déroutent pas. Emil,
né à Varsovie, tout comme ses enfants, Jan, Eleonora et Zofia, se disaient
toujours Polonais. La preuve en est que c'était déjà Emil qui a changé
l'orthographe du nom contre la forme polonaise avec un « W », et que Vedel est ainsi devenu Wedel. Pendant la II Guerre mondiale, les
membres de la famille furent poussés par l'administration allemande à signer la Volksliste ce qui
aurait beaucoup facilité la vie et la gestion de la société. Personne ne l'a
fait. Au contraire ils prenaient part dans la lutte contre l'envahisseur au
sein de l'Armée de l'Intérieur (Armia Krajowa). Plusieurs sont morts. Et avant
la guerre, c'est Jan qui fut un des fondateurs du monument de Ignacy Jan
Paderewski, le grand compositeur et pianiste qui fut le premier à exercer la
fonction du premier ministre dans la
Pologne ressuscitée en 1918. Le monument symbole que l'on
peut toujours admirer dans le parc Ujazdowski.
Mais revenons à Emil. La notoriété de l'entreprise augmente
systématiquement, ce qui lui permet de réaliser de gros investissements. Il
vend l'atelier rue Miodowa et installe un nouveau atelier, beaucoup plus
important, dans les bâtiments rue Szpitalna, achetés par son père en 1869. Il
réalise aussi un nouveau immeuble au carrefour des rues Szpitalna et Flory
(actuellement Górskiego). Construit dans le style de sécession, il fut un des
plus jolis hôtels de Varsovie. Le 11 décembre 1894, le public franchit pour la
première fois le seuil du plus grand magasin, aménagé au rez-de-chaussé, où
l'on peut acheter tous les produits de la firme. Juste à côté se trouve le
salon de chocolat. Les deux endroits deviennent vite très populaires parmi les
habitants de la ville. Tout le monde y vient pour faire des achats, pour boire
du chocolat chaud, mais aussi pour côtoyer les illustres Varsoviens:
journalistes, romanciers, poètes, peintres... Prus et Sienkiewicz à la fin du
XIX siècle, Tuwim, Słonimski, Iwaszkiewicz dans les années 20 et 30 du XX
siècle.
Le bâtiment de l'usine dans la rue Zamojskiego est toujours de service
Le troisième et dernier des propriétaires avant la nationalisation de l'entreprise en 1948, fut Jan Wedel. C'est lui qui au début des années 30 du XX siècle fait construire une usine ultramoderne sur la rive droite de
En 1933 la famille Wedel achète un hôtel au 13/15, rue
Foksal, à deux pas du jardin de l'hôtel Zamojski où Pierre Blanchard monta dans
sa montgolfière en survolant Varsovie en 1789. C 'est ici que la
famille a vécu l'occupation allemande de 1939 à 1944. Les travaux de rénovation
ont complètement changé la façade du bâtiment, et son aspect moderne fut
renforcé par la cage en verre de l'ascenseur installée à l'extérieur de
l'immeuble. Menacé depuis 50 ans de destruction pour faire place à une nouvelle
rue donnant sur la rue Smolna, il est tombé en ruine. C'est vraiment de la
chance que depuis peu on parle plutôt de sa restauration que de sa démolition.
Jan Wedel a financé aussi la construction de deux bâtiments rue Puławska, au 26 et 28, qui, épargnés pendantla II Guerre mondiale (il
n'y avait que des traces de balles sur la façade), existent toujours. Conçus
par l'architecte Juliusz Żurawski, ils sont cités comme les meilleurs exemples
du fonctionnalisme dans l'architecture de Varsovie des années 20 et 30 du XX
siècle. À ne pas manquer la peinture murale de la grande artiste polonaise,
Zofia Stryjeńska, réalisée dans le hall du bâtiment au 28, représentant les
brigands montagnards (des Robins des bois des Carpates).
Jan Wedel a financé aussi la construction de deux bâtiments rue Puławska, au 26 et 28, qui, épargnés pendant
D'origine allemande, la famille Wedel était de confession
protestante. C'est pourquoi l'on peut admirer deux vitraux des deux côtés de
l'autel de l'église lutérienne, place Małachowskiego. Ils datent de 1961 et
sont une réplique des anciens vitraux détruits pendant le siège de Varsovie en
septembre 1939. De même la grille décorée derrière l'autel et les chandelles
sont un don de la famille Wedel.
Le dernier vestige de la présence de Wedel à Varsovie est le
grand tombeau de famille se trouvant au cimetière lutérien dans le quartier de
Wola, rue Młynarska. C'est ici que reposent tous les membres de la famille:
Karol (1813-1902), sa femme Karoline Wisnowska-Wedel (1819-1883), son fils
Emile (1841-1919) et sa femme, Eugenia Böhm (1856-1925), Jan Wedel (1874-1960).
Nationalisée en 1948, la société « E.Wedel S.A. »
est devenue en 1952 « l'Établissement de l'Industrie de Confiserie - 22
Juillet » (le 22 juillet était une date fétiche pour les communistes, car
elle symbolisait la naissance de la
Pologne populaire en 1944). Si la qualité de la gestion de
l'établissement nationalisé n'était pas très haute, grâce aux travailleurs et
ingénieurs d'avant la guerre, celle des produits est restée très haute. Dans
les années 90 du XX siècle l'entreprise fut une des premières à être
privatisées. Elle fut vendue au géant américain PepsiCO qui n'avait aucune
expérience dans la confiserie. Il n'était donc pas étonnant qu'au bout de
quelques années, en 1998 c'est le concerne Cadbury qui devient à son tour son propriétaire.
Deux ans après, quand la société Cadbury Wedel a été achetée en janvier 2010
par Kraft Foods, la Commission européenne, craignant le monopole de Kraft sur
le marché polonais de chocolat a imposé la vente de l’entreprise qui depuis juin 2010 a comme nouveau propriétaire le
groupe japonais LotteGroup.
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