"Nous avons différentes espèces de Cartes telles
que géographiques, historiques, etc. qui représentent l'état naturel de la
surface du globe, ou bien les changemens politiques et autres qui s'y opèrent;
mais il nous manque encore une carte Météorographique, Carte qui place sous nos
yeux les variations physiques survenues sur la terre, produites en grande
partie par l'action du pouvoir calorifique sur les deux fluides ambiants à savoir: l'air et l'eau.
De longues années s'écouleront, avant que les
naturalistes parviennent à former une carte générale météorographique du globe
entier ; mais de ce qui a été fait dans l'étude
météorologique on conçoit la facilité d'obtenir des cartes météorographiques
spéciales des différentes parties de la terre. En tête de celles - ci peut se placer la carte Météorographique du
Royaume de Pologne dont nons allons nous occuper."
Ces mots ont été écrits et publiés par Antoni
Magier en 1828. Ils accompagnaient la carte météorologique de Varsovie, la
première carte polonaise qui soit réalisée et mise à disposition des savants du
monde entier. Qui était l'auteur de cette brochure? Un des premiers
météorologues polonais? Certes, mais aussi physicien, astronome et, surtout,
chroniqueur de la capitale polonaise. Témoin de l'histoire tumultueuse de notre
pays entre la fin du règne de la dynastie saxonne des Wettyn, l'époque du
Siècle des Lumières représentée par le dernier roi polonais – Stanisław August
Poniatowski, de la soumission de Varsovie au roi de Prusse, puis du temps des
illusions perdues liées à la création par Napoléon du Duché de Varsovie, et
enfin de la disparition totale du Royaume de Pologne qui n'existait plus qu'au
sein de l'Empire Russe sous le tsar Alexandre I. Or, que d'observations à
relater...
Pour suivre les traces de sa vie, dirigeons
nous d'abord à la
Vieille Ville. Retrouvons la rue Piwna (la rue de la Bière ), l'une des plus
anciennes rues de notre ville. Créée vers la fin du XIII siècle, avec la ville
même, elle a été tracée dans le quartier que l'on pourrait désigner comme
quartier « industriel ». C'est ici qu’étaient situées toutes les
brasseries et les fours des boulangers pour que les maisons d'habitation soient
à l'abri des incendies. C'est ici au numéro actuel 47, que Antoni Magier est né
le 2 juin 1762, dans la maison appartenant, depuis plusieurs générations, à la
famille de sa mère.
Enfant, il était élève d'un certain Monsieur
Robert qui tenait l'école dans l'hôtel au numéro 2 sur la place du Marché de la Vieille Ville. Dans
le même qui abrite actuellement un centre de culture. Ensuite il fréquentait
l'école située dans la rue voisine – Jezuicka, là où, dans les années 80 du
XVIII siècle, était le siège du premier ministère de l'éducation nationale en
Europe et qui, de nos jours, abrite le théâtre « Chez Tartuffe ».
Sa maison natale, détruite en 1944, comme tout
le quartier, a été reconstruite, et pour commémorer son illustre habitant, on a
mis son médaillon sur la façade. Malheureusement la reconstruction n’était pas
complète. On ne trouve plus ni l'observatoire astronomique aménagé par Magier
au dessus de son appartement du troisième étage, ni la peinture murale dans la
cage d'escalier qui représentait le système solaire de Copernic (n'oublions pas
qu'à cette époque-là le livre du grand astronome se trouvait toujours sur
l'indexe). La porte d'entrée n'a plus de traces des clous sur lesquels le valet
du météorologue accrochait les communiqués sur ses observations quotidiennes
réalisées durant plus de 25 ans. Les mêmes qui figurent dans les notes et dans
des dossiers achetées par le gouvernement après la mort du savant. Celles sur
la température, la pression atmosphérique, l'humidité de l'air, les mouvements
des vents, la pluviosité, ainsi que sur l'évolution des nuages. Presque 140 000
d'observations auxquelles l'on a ajouté des observations du niveau de la Vistule , et qui ont permis
de rédiger la première carte météographique de Varsovie. De nos jours, les
météorologues se servent toujours des résultats de ses observations pour faire
des analyses de longue terme portant sur l'évolution du climat.
Antoni Magier était un personnage connu de tous
les Varsoviens. Même les illettrés profitaient de son savoir. Très régulier
dans ses habitudes quotidiennes, il était observé quand il sortait de chez lui.
Un parapluie sous son coude ou un habit chaud malgré le soleil qui brillait,
témoignait un changement de temps très proche.
Il sortait pour se rendre soit au Lycée de
Varsovie dont il était professeur de physique et de sciences naturelles, soit à
des cafés où il aimait discuter et où il cherchait des informations et des
anecdotes sur la vie des Varsoviens.
Le lycée se trouvait d'abord à deux pas de chez
lui, au Palais de Saxe, à la place appelée aujourd'hui « la place maréchal
Pilsudski ». Dans le palais qui a été détruit par les Allemands en décembre
1944, et dont il ne reste qu'une partie d'arcades abritant le Tombeau du Soldat
Inconnu. En 1818, le lycée a déménagé au Palais Kazimierzowski (rue Krakowskie
Przedmieście) où il partageait ses locaux avec l'Université de Varsovie
récemment créée. Il est plutôt sûr qu'à cette époque Magier était le professeur
du jeune Frédéric Chopin dont le père, Nicolas, était aussi professeur au lycée
et qui habitait avec la famille dans un des appartements de service dans
l'annexe du palais. De cette expérience pédagogique est né un livre dans lequel
Antoni Magier expliquait aux enfants les phénomènes naturels. Il le faisait
d'une façon très simple mais pertinente et efficace. Si le langage avait été
plus moderne, ce livre aurait pu être lu aussi de nos jours.
Dans son appartement il avait aussi un atelier
dans lequel il produisait des thermomètres, des baromètres et des instruments
de son invention qui permettaient de contrôler le taux d'alcool dans des
liquides. Tous ses instruments étaient de grande notoriété et les gens de tous
côtés venaient à Varsovie pour les acheter. Il était même une victime d'une
contrefaçon, ce qui a fini par un communiqué de presse publié dans « Le
Courrier de Varsovie » du 3 juin 1823, dans lequel il prévenait ses
clients qu'un certain sieur Sikorski de Berdyczew, maître de tôlerie produisait
des instruments physiques qu'il vendait au public comme fabriqués dans
l'atelier d'Antoni Magier.
Mais le plus grand mérite de Antoni Magier est
celui de chroniqueur de Varsovie. Pendant toute sa vie il faisait des notes de
ce qu'il entendait autour de lui. Les notes qui lui ont permis de rédiger des
articles publiés d'abord dans la presse quotidienne et qui finalement ont résulté
d'un livre « L'esthétique de la ville de Varsovie, la capitale ». Le
livre de Magier, longtemps connu uniquement des spécialistes, car sous forme de
manuscrit, a été rédigé dans les années 1830. C'est une richissime source d'informations
sur le Varsovie de la fin du XVIII et du début du XIX siècle.
On y apprend par exemple la vie du dernier roi
polonais, son règne et son amour pour les arts, mais aussi des anecdotes sur
ses petites manies et faiblesses. On y voit naître le théâtre national où les
pièces des auteurs polonais étaient jouées en langue polonaise par les acteurs
polonais pour le public polonais qui n'était plus obligé d'assister aux
spectacles interprétés par les acteurs étrangers dans leurs langues
maternelles. Quel soulagement...
Mais on y retrouve aussi les informations sur
l'administration prussienne qui gouvernait dans la ville entre 1796 à 1806,
avec son fonctionnaire le plus pittoresque qu’était Ernst Theodore Amadée
Hoffmann, peintre, musicien, écrivain, connu dans le monde entier comme
l'auteur du conte « Casse-noisettes » et qui habitait dans un hôtel
proche de la Barbacane ,
rue Freta (l’hôtel Samson). Ami des musiciens et des peintres polonais, il était
un des fondateurs de l'Association musicale de Varsovie qui avait son premier
siège dans le palais Mniszech où, de nos jours, se trouve l'Ambassade de
Belgique.
Le lecteur français peut être intéressé surtout
par les fragments concernant les royalistes français qui ayant fuit la France soumise à la terreur
de la Grande
Révolution , accompagnaient le comte de Lille, qui ne fut
autre que le futur Louis XVIII. Et peut-être des passages racontant l'arrivée
des troupes de Napoléon Bonaparte, si attendus par les Polonais, et dont les
soldats se croyaient dans un pays conquis et en profitaient largement. C’est
pourquoi très vite, seul l'empereur resta cher aux coeurs des Varsoviens.
Mais en contrepartie il y avait aussi des
passages racontant les activités des artistes français invités par le roi
Stanisław August Poniatowski, notamment du sculpteur André Le Brun, du peintre
Jean Pillement, de l'architecte Victor Louis, qui ont participé à
l'embellissement des intérieurs du Château Royal, ou d'autres comme Monsieur
Raquellier, le maître d'escrime à l'École des Chevaliers ou Charles de Perthès,
le cartographe à la même école.
Antoni Magier est mort le 6 février 1837. Dans
son testament, il a légué sa fortune (qui n'était pas petite) non seulement à
ses proches, mais aussi à des associations caritatives. Même la ville de
Varsovie a reçu un don de 1000 zlotys pour la construction d'un cadran solaire pour
qu’il serve tous les Varsoviens, riches et pauvres. Ce cadran qui a été réalisé
seulement en 1863, peut être toujours admiré dans le Jardin de Saxe, tout près
des grands jets d’eau avec bassin. Il porte une inscription en latin: Erectum
ex legato Antoni Magier A. D. MDCCCLXIII.
Et si vous passez par le vieux cimetière de Powązki,
retrouvez l'allée 8 où dans une tombe dominée par un bout de colonne antique
entourée de feuilles de lauriers, repose ce grand homme et grand amoureux de
Varsovie.
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