Vers 1960, je venais souvent avec mon père sur la place du
Château. Pour un gamin de 6 ans elle paraissait énorme, car s'étalant des hôtels
particuliers de la
Vieille Ville jusqu'à l'escarpement descendant vers la Vistule. Seul un
tout petit fragment de mur brisait la monotonie de la « terrasse »
aménagée là où jusqu'au 1944 se trouvait le Château Royal. Détruit par les
Allemands, le bâtiment n'a été reconstruit qu'en 1974, et le Musée qui s'y
trouve n'ouvrit ses portes qu'en 1981.
La place telle que nous la connaissons depuis 1974 existe depuis environ 200 ans. En 1821 Jakub Kubicki, l'architecte principal auprès du gouvernement du Royaume de Pologne, a fait détruire une partie des remparts avec la grande porte dite « Brama Krakowska », ainsi que le mur séparant le château de la ville. Cela a découvert la façade de la partie ouest du château, construite au début du XVII siècle par le roi Sigismund III Vasa. Cet agrandissement du château était nécessaire vu qu'il devenait la résidence principale du roi qui pour toujours avait quitté le château de Wawel à Cracovie.
Avant les travaux de Kubicki, on ne voyait au dessus du mur
que le haute de la façade ainsi que la grande tour avec une horloge au-dessous
de laquelle se trouvait la porte principale donnant accès à la cour intérieure.
C'est par là qu'entraient les carrosses de grands nobles invités des rois.
Au premier plan de la photo, on remarque le pont en brique
datant du XV siècle, construit donc au même temps que la première ligne des
remparts. C'est juste derrière ce pont que se trouvait la « Brama
Krakowska ». On l'appelait aussi « la Porte des Courtisans »
car c'était eux qui étaient chargés de la défendre au cas d'une attaque.
La porte dite Grodzka (« municipale ») nous
signale que nous sommes devant la partie du château où, au rez-de-chaussée, à
gauche de la porte, étaient situés les offices municipaux. Il ne faut pas aussi
oublier que le château, contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer vu son
nom, n'appartenait pas au roi. Il était la propriété de la République des Nobles
(Rzeczpospolita Szlachecka). D'où la présence des sièges du Sénat et de la Diète (parlement) polonais,
ainsi que des offices qui en faisaient parties. Les rois n'occupaient qu'une
partie du château.
Remarque : À cette époque-là seuls les représentants de
la Diète étaient élus par les nobles. On devenait membre du Sénat d’une façon
automatique ayant été nommé par le roi un châtelain, un voïvode, un maréchal ou
un évêque.
Au XVII siècle, le roi Władysław IV, fils de Sigismund III,
à l'occasion de ses noces, a fait construire une salle de théâtre qui est
considérée par les experts comme la première salle de théâtre permanent en
Pologne. Avant, les spectacles n’étaient joués que dans des salles aménagées
juste pour une ou deux représentations. Le théâtre royal occupait les trois quarts
de cette aile. Les coulisses étaient munies de tous les mécanismes ultramodernes
dont on se servait dans les théâtres italiens et français de l'époque.
C’est dommage que devant le bâtiment on ne voit plus le dernier
vestige du viaduc Panzer, un énorme panneau en fer avec une inscription en deux
langues : polonaise et russe. L'emploi de celui-ci nous rappellait qu’une
grande partie la Pologne
au XIX siècle faisait partie de l'empire russe. Le viaduc depuis 1844 reliait
la rue Krakowskie Przedmieście et la Vieille Ville avec les bords de la Vistule , et depuis 1864
permettait l'accès au premier pont en fer à Varsovie, celui construit par l’ingénieur
Kierbedź. Le viaduc, endommagé par les Allemands en 1944 (ils firent dinamiter
tous les ponts à Varsovie le 13 septembre), a été détruit lors de la
construction de la Voie W-Z
(Trasa W-Z).
Deux anciens troncs en marbre couchés sur l'herbe devant la
porte servent d'indices permettant aux touristes de répondre à la question :
combien de fois a été restaurée la colonne du roi Sigismund III dominant la
place depuis 1644 étant donc le plus ancien monument laïc en Pologne.
À droite de la porte, il y avait la tombe provisoire du
dernier directeur du Château en 1939, Kazimierz Brokl, mort le 17 septembre, le
jour appelé « le dimanche noir » pour le Château. C'est ce jour-là
que les bombes allemandes ont détruit la plus belle salle dite des Bals, et ont
incendié la tour de Sigismund. Le même dimanche les aiguilles de l'horloge de
la tour se sont arrêtées à 11 h 15. Depuis, c'était une heure symbolique pour
tous les Polonais de la génération de la II Guerre Mondiale.
Maintenant, à cette heure-là
vous pouvez entendre la fanfare jouée de
la trompette à la fenêtre au-dessous de l’horloge, écrite exprès pour le
Château par le compositeur Zbigniew Bagiński. Elle est repétée trois fois pour
souligner trois devises patriotiques polonaises: Dieu, Honneur, Patrie.
Il suffit de se retourner un peu vers la rivière pour
admirer la plus ancienne partie du château, la tour dite « Grodzka ».
Elle était la première à être bâtie en pierre et en brique, à l'époque des
princes de Mazovie, au XIV siècle (n'oublions pas que jusqu'au 1526 la Mazovie était une
principauté indépendante, gouvernée par les princes de la dynastie des Piasts).
Entourée de bâtiments en bois, elle fournissait un abri au prince, à sa
famille, à son trésor, à ses plus proches courtisans et à ses... prisonniers,
vu que la partie la plus basse était une prison.
En descendant vers la Vistule , nous voilà devant le Palais Pod Blachą (Sous
Tôle). Le nom vient de son toit en cuivre qui dans la deuxième partie du XVIII
siècle n'était pas une chose commune. Construit pour la famille Lubomirski, il a
été acheté en 1777 par le dernier roi de Pologne Stanisław August Poniatowski,
et offert en 1794 à un de ses neveux, le prince Józef Poniatowski, futur maréchal
de France pendant le Premier Empire. Sous l'administration prussienne, entre
1796 et 1806, après le troisième partage de la Pologne , il était un lieu
de rencontre de la jeunesse mondaine, francophone, opposée aux traditionalistes
et patriotes polonais. On parlait beaucoup, à cette époque, des bagarres entre
les publics des théâtres polonais et français.
Au-dessus de l'aile norde du palais s'élève un étroit et
long immeuble de la bibliothèque construite au début des années 1780 par Domenico
Merlini pour abriter une grande collection de livres (plus de 16 000
exemplaires) appartenant au roi Stanisław August.
La partie du château donnant sur la Vistule est la partie la
plus ancienne, après la
Tour Grodzka , mais sa belle façade rococo ne date que du
début du XVIII siècle. Elle est le seul élément réalisé d'un grand projet conçu
pour le roi August III Saxe. Vers la fin du même siècle et au début du XIX, une
rue coupait les jardins du château en deux parties : la partie haute,
située juste devant le bâtiment et la partie basse, plus proche de la rivière.
La rue, très importante pour le transport du nord au sud de la ville, ne
pouvait pas être liquidée, et finalement elle a été couverte par l’architecte Jakub
Kubicki d'une terrasse avec des escaliers permettant une communication libre
entre les deux parties du jardin. Après l'échec de l'Insurrection de Novembre
en 1831, et après la suspension de la Constitution et des libertés des Polonais, les
arcades sont devenues l’écurie des troupes de soldats cosaques qui servaient à
la pacification des manifestations patriotiques de la population de Varsovie.
En contournant le bâtiment et les anciens jardins du
château, nous sommes descendus de l'escarpement dominant la Vistule. Pour
revenir à la place du Château du côté nord, nous devons monter sur « La
colline des Immondices », l'endroit actuellement très pittoresque, offrant
une belle panorama de la rive droite, formé par les immondices de la ville
jetées ici, derrière les remparts, pendant des siècles. Il n’est donc pas étonnant
que les rois fuyaient le Château, situé juste à côté, pour la saison estivale
et cherchaient de l’aire pur dans leurs résidences d’été à Wilanów ou à Łazienki.
De par ce caractère c'était un lieu idéal pour les fouilles archéologiques qui ont
effectivement eu lieu dans les années 1930. Des centaines d'années n'ont pas suffi
à tout décomposer. Les témoignages existent prétendant que des parfums
nauséabonds se dégageaient toujours quand on découvrait les couches successives
de terre.
Dès la fin du XVII siècle les remparts de Varsovie ne
jouaient plus leur rôle protecteur. On ne les démolit cependant pas. Ils
servaient de fondations ou de murs exterieurs pour les maisons qu'on commença à
construire autour. Les couches basses des maisons construites sur la Colline sont donc de vrais
vestiges des anciens remparts du côté de la rivière.
Nous prenons une ruelle dont les maisons, peintes à
plusieurs couleurs, me font penser à la pittoresque rue des Alchémistes que
j’ai pu admirer à Prague, en République tchèque. Tournons à gauche dans la rue
Jezuicka et nous voilà sur la
Place Kanonia , juste derrière la Cathédrale de Sait
Jean, la plus ancienne église de Varsovie. Jusqu'à la fin du XVIII siècle on
enterrait ici, dans des tombes collectives, des habitants de la vieille
Varsovie. Le seul vestige du plus ancien cimetière varsovien est la statue de
Notre Dame placée contre le mur du presbytère de la cathédrale.
Au dessus des deux « portes » du côté du château,
il y a un couloir reliant le siège royal avec la cathédrale. Initialement en
bois, il a été refait en brique après le 15 novembre 1620 quand Maciej
Piekarski, un malade mental protestant, a voulu tuer le roi ultra catholique
qu'était Sigismund III. Le roi n’a été que légèrement blessé, mais le régicide
manqué était jugé et condamné à tortures publiques sur la Place du Marché. Démembré,
il a été brûlé vif et ses cendres ont été ensuite envoyées aux quatre vents par
un coup de canon.
Prenez le passage vers le Château. Initiallement il y avait
ici des bâtiments en bois où habitaient les princesses de Mazovie d’abord et
les reines polonaises ensuite, avec leurs courtisanes. Dans la deuxième moitié
du XVIII siècle, dans le nouveau bâtiment en brique habitait le peintre
italien, Marcello Bacciarelli, ami du roi Poniatowski et auteur de nombreux
tableaux qu'on peut toujours admirer dans le Musée du Château. Près de son
appartement, il avait un atelier qui était une sorte d'école de peinture. Elle
devait être changée en académie des beaux arts, mais les problèmes financiers
ont entravé ces ambitieux projets du roi.
Pendant la
II Guerre Mondiale, on produisait ici, dans des caves, juste
à côté des Allemands occupant le Château, les armes pour l'Armée de l'Intérieur
(Armia Krajowa), notamment la version polonaise d’une mitraillette britannique
STEN (voir le panneau au mur du bâtiment).
Brak komentarzy:
Prześlij komentarz