Varsovie,
le 25 novembre 2011. Dans la grande Salle des Bals du Château Royal, on peut
assister à la clôture officielle de l'Année Marie Curie proclamée à l'occasion
du centenaire de son second prix Nobel.
Comme toujours
dans tels cas, il y a aussi des invités d'honneur. La dame est l'ancien
directeur du Centre National de Recherches Scientifiques. Elle est à Varsovie
avec son frère, accompagné de sa femme, Anne. Tous les trois: chercheurs et
scientifiques. La dame s'appelle Hélène Langevin-Joliot et lui, Pierre Joliot.
Ils sont les petits-enfants de Marie Curie. Et le lendemain, j'ai un immense
plaisir de leur montrer Varsovie, de les
conduire par les endroits si chers à leur grand-mère ...
Le
tombeau familial à Powązki
Nous avons
commencé par le vieux cimetière de Powązki. Au troisième rang du quartier 164, on trouve facilement la
tombe où reposent les membres de la famille Skłodowski. La première qui a
quitté ce monde est Zofia, l'ainée des filles, morte de typhus à l'âge de 16
ans. Deux ans après, elle est suivie de Bronisława, la mère. Celle-ci, atteinte
de tuberculose de l'époque de la naissance de Marie, s'impose désormais un
régime dans les contacts avec ses enfants. Elle ne les embrasse plus, ne les
caresse pas de peur de les contaminer. C'est tellement dur pour une mère,
surtout dans cette famille où l'amour et l'attachement règnent jusqu'à la mort
du dernier du « clan ». Ils se retrouvent tous ici, sauf une. Marie repose
au Panthéon, à Paris, dans sa seconde patrie qu'elle a choisie pour travailler
et vivre.
La rue
Freta
C'est une
rue qui est connue de tous les touristes qui viennent à Varsovie. Juste à côté
de la Vieille Ville qui est un point obligatoire de chaque programme de visite
touristique de Varsovie, elle débute devant la fortification dite Barbacane.
C'est ici, au numéro 16, que sont nés tous les enfants Skłodowski dont Marie
était la cadette. La famille occupait l'appartement au premier étage dans le
bâtiment qui fut le siège de l'école pour des jeunes-filles, dirigée par Bronisława.
16, rue Freta, la maison natale de Madame Curie
S'ils déménagent juste un an après la naissance de Marie, le quartier reste
cependant très proche à l'enfant. Deux églises qui sont à 200 mètres de la
maison, sont celle de Saint Jacques des Pères Dominicains où a eu lieu sa
première communion, « journée mémorable, dominée par les serments que
s'étaient faites Mania et sa cousine Henriette de ne pas toucher, de ne pas
effleurer l'hostie avec leurs dents », et celle de
Sainte-Esprit, des Pères Pauliens (une des plus anciennes à Varsovie, dont le
premier bâtiment en bois datait du XIV siècle) où les enfants viennent souvent
le dimanche écouter la messe célébrée en… allemand. Mais la première qu'elle a connue, est celle
de son baptême, l'église de Notre-Dame à la Nouvelle Ville, fondée en 1411,
construite près de l'escarpement de la Vistule d'où une panorama de la rive
droite s'étale devant les yeux des fidèles. Marie, adolescente, revient souvent
dans cet endroit. Et c'est ici qu'elle a fait ses adieux avec la ville natale
avant son départ pour Paris en 1891.

L'église Saint Jacques, le lieu de la première communion de Marie
La rue
Nowolipki
Après 8 ans
passés dans le plus ancien quartier de Varsovie, Władysław Skłodowski est nommé
professeur et sous-inspecteur au collège de la rue Nowolipki (au numéro 11 de
l'époque). La famille occupe un spacieux appartement de fonction dans l'annexe
de l'école. La vie n'est pas facile. Après l'Insurrection de Janvier (1863), une forte pression russificatrice est
exercée sur la société. La langue polonaise est bannie des offices et des
établissements scolaires. Le professeur Skłodowski défend souvent ses élèves contre
le directeur russe du collège, Iwanow, ce qui va lui couter finalement son
poste. « Il y a eu, en automne 1873, la dramatique journée de retour de
vacances. En arrivant avec les siens rue Nowolipki, pour reprendre ses
fonctions à l'ouverture des classes, M. Skłodowski
a trouvé sur son bureau un pli officiel: par ordre des autorités, ses
appointements étaient réduits, son logement de fonctionnaire lui était retiré,
ainsi que le titre de sous-inspecteur. » La famille doit donc
déménager, comme elle le fera encore plusieurs fois. Pour boucler le budget de la
famille, le professeur loue un grand appartement pour tenir une pension pour de
jeunes gens. Il se trouvait non loin du collège, au carrefour des rues
Nowolipki et Karmelicka. Aucun bâtiment de l'époque n'existe plus. Le quartier
se trouvant, entre 1940 - 1943, dans l'enceinte du Ghetto de Varsovie, a été complètement détruit pendant et après
le soulèvement d'avril et mai 1943. Toutes les maisons ont été d'abord brûlées
et dynamitées ensuite par les soldats nazis. Un quart de la ville est devenu un
plat désert de débris. De nouveaux quartiers y ont été construits dans les
années 1950. De nos jours nous pouvons voir une peinture murale réalisée sur la
façade de la maison au numéro 11 actuel. Elle est l'une des plusieurs peintures
faites en ville pour commémorer l'Année Marie Curie.

11, rue Nowolipki
La peinture murale sur la maison au numéro actuel 11, rue Nowolipki
Avenue
Krakowskie Przedmieście
Un touriste
visitant Varsovie à la fin de l'année 2011, pouvait voir plusieurs cubes sur
lesquels ont été inscrits les symboles
des éléments chimiques. C'étaient surtout des enfants qui se mettaient à courir
entre eux en essayant de trouver les deux éléments découverts par Madame Curie:
le polonium et le radium.
Rue Krakowskie Przedmieście. Le bâtiment à droite avec une terrasse arrondie sous le toit, c'est l'Hôtel Bristol
Les cubes
étaient là où il y avait la première école de Maniusia, celle de la pension de
Mlle Sikorska, au carrefour des rues Krakowskie Przedmieście et Karowa, à deux
pas de l’Hôtel Bristol et du Palais Présidentiel. C'était une seule année de
scolarité qui était heureuse pour la petite fille. Les professeurs compétents,
gentils et les élèves plongées dans l'atmosphère patriotique. On leur
enseignait aussi les matières défendues par les autorités russes. « L'institutrice
peu avenante, les enfants trop sages à qui elle enseigne, en polonais,
l'histoire de la Pologne, ont mystérieusement l'air complices, de conjurés.
Soudain, comme des complices, en effet,tous ces êtres tressaillent: le
grelottement discret d'une sonnerie électrique vient de retentir sur le palier.
Deux coups longs, deux coups brefs. » C'est le portier qui prévient
que l'inspecteur russe des écoles privées de Varsovie, M. Hornberg, va visiter
la classe. Au bout de quelques instants les cahiers et les manuels polonais
sont dissimulés dans le dortoir des internes, et vingt-cinq filles regardent de
leurs yeux innocents l'inspecteur entrer.
La rue
Marszałkowska
Ce n'était
plus le cas dans le collège d'état que Marie fréquentait après. Pour les
enseignants russes la Pologne n'existe
plus. Il n'y a qu'un Pays près de Vistule et les Polonais ne sont que des
sujets du tsar. Les élèves polonais sont donc constamment persécutées. Mais au
même temps, pour ceux qui ont l'ambition de faire les études supérieurs après,
il est impossible d'abandonner cette école méprisée, car seuls les collèges
d'état donnent le droit de se présenter au bac. Alors pour garder l'équilibre,
on fait des petits gestes patriotiques, tels de cracher sur le monuments des
traîtres, l'obélisque des généraux polonais qui, pendant l'Insurrection de
Novembre en 1831, se sont battu du côté de l'armée russe, contre leurs compatriotes. Le monument
se trouvait devant le Palais de Saxe (plac Piłsudskiego actuellement) dont il
n'est resté après la II Guerre Mondiale que la partie centrale abritant le
Tombeau du Soldat Inconnu.

La Place Saski en 1861 avec le Palais de Saxe et l'obelisque des traîtres au fond
Le collège
se trouvait au carrefour de Marszałkowska et Królewska. Si vous y aviez passé
un jour de novembre de 2011vous auriez vu des grands roues de vélos anciens.
Appelés bicyclettes atomiques elles nous rappelaient que les voyages à vélo
étaient la façon favorite du couple Curie de passer leur temps libre à la
campagne.
La rue
Leszno
(actuellement Avenue Solidarności)
Il est
difficile de dire précisément dans quel
endroit était la nouvelle maison des Skłodowski
où ils ont déménagé après la mort de la mère. Elle devait être dans la partie
entre les rues actuelles : Marszałkowska et l'Avenue Jean-Paul II, tout près de
Plac Bankowy, Eve Curie décrivant dans la biographie de sa mère l'église
calviniste qui était construite de l'autre côté de la rue Leszno. C'est d'ici
que Marie prenait la rue Rymarska pour aller chercher sa mailleure amie Kazia
habitant un annexe du Palais Bleu des comtes Zamoyski (rue Żabia). « Lorsqu'elle
ne trouve personne au rendez-vous, elle soulève le pesant anneau que le lion de
bronze teint dans sa gueule et le retourne sur le nez de l'animal, puis elle
continue sa route vers le gymnase. Kazia, en voyant l'anneau, apprend que Mania
est déjà passée et que, si elle veut la rattraper, il faut qu'elle se
dépêche. »
Les deux
petites rues n'existent plus, englouties par la grande place de Banque (plac
Bankowy). De même que l'annexe du Palais. Quelle chance que le Jardin de Saxe
est toujours sur sa place, avec ses sculptures du début du XVIII siècle, son
bassin et un grand jet d'eau près duquel est situé le cadran solaire sur lequel
Marie pouvait voir, par le temps ensoleillé, si, par hasard, elle n n'était pas
en retard pour l’école.
Eglise calviniste, Avenue Solidarności (ancienne rue Leszno)
Le temps
nous pressait, c'est donc avec hâte que nous avons passé devant l'Université de
Varsovie dont la Faculté de Philosophie (sic!) lui a discerné le titre de docteur
honoris causa, où Madame Curie était présente pour l'inauguration de
l'année académique 1921-22, et où elle revient en 1925 pour prononcer un
discours sur la radioactivité; devant le Palais Jabłonowski, reconstruit dans
les années 1990, qui jusqu'à la fin de la II Guerre Mondiale était le siège de
la Mairie et où Madame Curie reçoit en 1925 le titre d'habitant d'honneur de la
ville de Varsovie. Sans oublier la Place des Trois Croix (Plac Trzech Krzyży) près
duquel, son père a passé la fin de sa vie dans la famille de son fils ainé, Józef,
et l'immeuble dans la rue Górnośląska, au numéro 16, où habitaient ses soeurs,
Bronisława Dłuska et Helena Szalayowa.
Et vous, si vous
venez à Varsovie, n'oubliez pas de passer aussi par la rue Wawelska, dans
l'arrondissement de Ochota, pour saluer
Marie Skłodowska-Curie dont la statue se dresse devant Instytut Radowy,
« l'enfant chéri » de Marie en Pologne.
Toutes les
citations marquées en italique sont tirées de la biographie écrite par Eve
Curie « Madame Curie », Librairie Gallimard, 1958